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Fernand Lacroix (1900-1995)

Extraits de ses cahiers d'Ingénieur des Ponts et Chaussées en Kabylie



2- Tizi-Ouzou (1937-1942)

A l'oeuvre aux Ponts et Chaussées



Nous arrivons (venant de Djidelli 1927-1937) à Tizi-ouzou début décembre 1937, par une tempête de neige, fait peu courant car la ville est réputée une des plus chaude d'Algérie. Installation de la famille aux Ponts et Chaussées.


Premiers travaux:

- Construction d'un pont en béton armé de 60 mètres (RN 12) sur un affluent de l'oued Sébaou, l'oued Aïssi qui draine les eaux du Djurdjura. Travaux à l'entreprise.       (voir les photos)
- Protection des berges du Sébaou en amont de Tamda (à 7km) - épis en gabions et plantation de prés d'un hectare en eucalyptus à l'aval de l'épis. Travaux en régie.
- Ouverture de la RN 30 entre la passerelle d'Aït- Yacoub et Taghout (gorges de l'oued Aïssi sur 3km). Ces travaux seront facilités par l'arrivée d'un bulldozer américain quelques semaines avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale 39-45. Travaux à l'entreprise.       (voir les photos)
- Alimentation en eau d'Haussonvillers et de huit villages kabyles. Captage à 850m d'altitude, une conduite de 12Km amène l'eau de source avec un débit à l'étiage de 300m3/Jour. Les quelques kilomètres de tuyaux arrivent in extremis avant la guerre. Travaux en régie.
      (voir les photos)
- De 37 à 40, constructions des docks silos à Tizi-Ouzou et d'un magasin à blé à Yakouren.


Pendant la guerre

les travaux sont exécutés en régie par l'administration. Sauf les travaux de construction de la RN 30 (gorges de l'oued Aïssi) que l'entreprise termine en 1941.
L'Oued Aïssi fut toujours le passage facile entre les montagnes reliant le Djurdjura à Tizi-ouzou et à la plaine. Il était encore emprunté, au début du siècle (XXéme) par les caravanes de chameaux, et assez récemment, avant les travaux, par les troupeaux, qui étaient rançonnés par les bandes organisées. A tel point que les travaux terminés, les premiers autobus furent arrêtés et les gendarmes durent intervenir énergiquement pour faire cesser ces pratiques.
Pendant la guerre tout est difficile à réaliser:
- Déneigement: Camions gazobois pour palier au manque de carburant.
- Entretien réseau routier: pénurie de goudron, bitume, ciment...
- Pendant l'hiver 39-40 la RN 25 est endommagée par les crues de l'oued Ksari. Gros éboulements, murs de soutènement emportés et circulation interrompue. Les réparations importantes durèrent prés de 2 mois pour rétablir une circulation normale.       (voir les photos)
Des réparations nombreuses sont aussi effectuées sur la RN 30 entre Taghourt et Tassaft-Ouguemoune.


Alimentation en eau des villages kabyles

Ces travaux, en régie, avec le concours des populations, donnent satisfaction aux habitants.
Au début je rends visite aux chantiers, à pied et souvent seul, et je surprends, en chemin, les regards soupçonneux des paysans kabyles. Je sens leur animosité. Me prennent-ils pour un policier, ou peut-être un contrôleur des impôts!
Ils ont du alerter le Caïd car l'administrateur adjoint de la commune mixte de Mizrana me fixe rendez-vous chez le Caïd pour visiter une source. Le Caïd nous reçoit, un petit couscous, en-cas! Car c'est le matin. Nous nous rendons à pied jusqu'à la source. Le jeune Caïd obèse peine et souffle pour grimper derrière nous. Les paysans renseignés à mon sujet, par cette visite officielle au chantier, changent d'attitude à mon égard par la suite d'autant qu'ils se rendent vite compte que je comprends et parle aussi bien l'arabe que le berbère
Pour le village de Litama je prends contact avec l'amin du village. Il me prévient que le village s'est toujours alimenté en eau à cette source. Les propriétaires des jardins proches essaient d'obliger par intimidation les habitants à cesser de prendre de l'eau.
Depuis de nombreuses années certains habitants préfèrent aussi s'alimenter en eau à l'oued Sébaou. Le goitre se développe dans le village. Le Service de Santé alerté indique qu'il faut cesser de boire l'eau de l'oued cause de cette infirmité.
L'amin ajoute que les soi disants propriétaires de la source agissent mal envers les femmes qui viennent malgré tout puiser l'eau et ce malgré la présence continue d'un ancien qui surveille la bonne tenue.
Il me dit en conclusion: " Tout le village est d'accord- Tu prends la source-Nous sommes là. "
Je visite la source. Les propriétaires sont là, la population aussi. Les dispositions sont prises en vue des travaux de captage. Les propriétaires, influencés par l'attitude décidée des villageois, demandent une part de l'eau pour leur jardin.
Je réponds que la santé des habitants est en jeu et que toute l'eau de la source sera nécessaire pour le village afin de faire disparaître les goitres.
Le captage se déroule normalement. Toute l'eau de la source est amenée au centre du village dans un réservoir avec abreuvoir.
Cela s'est terminé par une plainte des propriétaires au Gouvernement Général pour obtenir une part des eaux pour leur jardin. Avec la guerre leur plainte est restée sans réponse.
En 1942 je procède à l'étude du captage d'une source et d'une conduite d'amenée au village de Yakouren.

Une cinquantaine de villages furent alimentés en eau de 1937 à1942       (voir les photos)



L'ouverture de la RN30 entre Tizi-Ouzou et Bouira

En juin 1940, après l'armistice, c'est le retour des démobilisées et des kabyles qui travaillaient en France, auxquels il faut procurer du travail d'urgence.

Un projet est prêt: c'est l'ouverture de la RN 30 entre Tassaft-Ouguemoune et Tizi N'Kouilal qui permettra la liaison directe de Tizi-Ouzou à Bouira en franchissant le col de Tizi-N'Tirkabine à 2000m d'altitude au pied du sommet culminant du Djurdjura , le Lalla Khedidja ( 2308 m ).
Cette route est aussi nécessaire pour ouvrir le Djurdjura au tourisme d'hiver (ski) et aux vacances d'été en altitude. Le Gouvernement Général décide d'entreprendre de suite les terrassements d'une piste de 5 m de large accessible aux camions, piste qui deviendra la RN 30 après élargissement. La partie Tassaft Ouguemoune - Tizi-N'Tirkabine (versant nord 10 km) est comprise dans la subdivision de Fort National (dont j'assure l'intérim).
Je reçois l'ordre d'entreprendre ces travaux en régie. La partie Tizi-N'Tirkabine (Tikjda) Tizi-N'Kouilal dépend de la subdivision de Bouira qui reçoit le même ordre.
J'embauche 7 à 8 ouvriers européens démobilisés sans emploi comme chefs de chantiers, un forgeron, 2 maçons et un pointeur kabyles. Un chef cantonnier commande les travaux. Un opérateur implante le tracé à l'avancement. L'administrateur et les Caïds établissent les listes des manœuvres à employer par roulement.
Avec les Caïds et les propriétaires, en présence de la population, nous fixons sur plan les limites des emprises définitives de la future RN 30, ainsi que l'estimation des terrains et des arbres fruitiers à abattre le long du premier kilomètre. Nous avons établi, toujours avec les Caïds et les intéressés, un prix pour chaque catégorie d'arbres selon la grosseur. Ces opérations ne soulèvent aucune réclamation. Les payements par le Trésor Public suivent rapidement et la confiance s'établit.
Les travaux commencent la semaine suivant l'ordre reçu.       (voir les photos)
Après ce 1er kilomètre de jardins, le tracé serpente dans la montagne rocheuse sur 8 à 9 km et il n'y a aucun problème d'indemnisation, faute de propriétaires.
Le personnel de maîtrise est logé provisoirement chez un habitant qui nous loue une partie de sa maison. Nous construisons, au milieu de la section à ouvrir, des bâtiments en dur pour loger ce personnel par la suite: un bâtiment dortoir, réfectoire, cuisine, un bâtiment magasin, forge.
A partir de là, tout fonctionne normalement et sans à coup. Chaque chef de chantier pointe son équipe. Le pointeur parcourt les chantiers et pointe tous les travailleurs. Le chef cantonnier compare tous ces pointages chaque soir. Aucune réclamation aux payes de quinzaine. Et bientôt la montagne résonne 2 fois par jour des tirs des mines. Les trous sont forés à la masse et les singes disparaissent comme par enchantement aux 1ers tirs de mine et nous laissent le champ libre. Seuls des petits ouvrages sont nécessaires pour assurer l'écoulement des eaux et nous y employons des buses, du ciment et aussi de la chaux grasse fabriquée sur place. Pour les transports, les camions des subdivisions sont équipés en gazogènes à bois ou charbon de bois.
Les travaux durent jusqu'à la mauvaise saison en octobre 1940. Repris l'année suivante en fin d'hiver ils se terminent en octobre 1941 par la jonction des chantiers des deux subdivisions et l'inauguration par le Gouverneur Général Weygand le 20 octobre 1941.       (voir les photos)

Un orage éclate le soir même et le Djurdjura est tout blanc le lendemain matin.


Ouvertures de pistes

d'autres pistes sont aussi entreprises en régie pour venir en aide aux populations:

1- Pour l'exploitation des forêts de Talakitane, région de Yakouren - col de Tagma - Une chaîne de camions transporte le bois nécessaire aux locomotives des chemins de fer et un dépôt très important est constitué prés de la gare de Tizi-Ouzou. La région d'Alger est ravitaillée en bois et charbon de bois pour gazogènes et en fagots de boulangerie.
Je suis chargé d'établir un plan de transport pour le ravitaillement de la Kabylie:
- Besoins d'après la population
- Liste des camions
- Distribution d'essence, mazout et huile pour le démarrage des gazogènes.
Une bretelle est construite en forêt pour la rotation des camions. Les arbres abattus à cet effet sont transformés sur place en charbon de bois à l'aide de fours métalliques.

2- Une piste est ouverte en suivant le tracé du projet de la Route Nationale prévue pour relier Port-Gueydon à Bougie le long du littoral. Après construction d'un abri en dur pour le personnel du chantier, la piste est ouverte sur quelques kilomètres à coups de mines dans le grés dur.       (voir les photos)


3- Une piste est construite pour accéder en camion à la maison forestière de Litana sur 4 km.

4- Une piste est ouverte sur 10 km pour accéder là aussi en camion à la forestière de Tacheta, région de Dra el Mizan.
      (voir les photos)

5- A l'entrée de Tizi-Ouzou la RN est élargie et améliorée sur 2 km. Un pont biais en maçonnerie (pierres de taille) de 5 m d'ouverture, une grande tranchée et un grand remblai sont établis (une source est captée). Les bois de coffrage sont fournis par des platanes bordant la route et débités en madriers par des scieurs de long Kabyles.
     (voir les photos)

6- Une piste d'atterrissage rudimentaire de 1 km de long est aménagée pour petits avions de reconnaissance à Fréha. Abattage et désouchage de grands pins qui sont sciés en long en madriers pour le besoin des chantiers. Tous les arbres abattus au cours de tous ces travaux ont été utilisés. Le bois, transformé en charbon de bois, a servi à alimenter les camions des Ponts et Chaussées de la région d'Alger.


En août 1942, pressenti par mes chefs, je suis nommé à la subdivision d'Alger-Est, qui assure aussi les travaux neufs et l'entretien de l'aérodrome de Maison-Blanche.